Notre panière à pain,
dans la cuisine,
par terre,
presqu’en forme de boule,
enfumée,
se balance.
Les corbeilles,
au repas,
offrent le pain,
leurs mains ouvertes jamais
ne franchiront l’ombre de suie,
elles s’élèvent,
se soumettent à l’étendue de la nappe,
glissent parmi les assiettes, recueillent
la mie,
l’air,
la dernière lumière du matin venue s’asseoir
vêtue de voiles.
Certains jours, dormaient des brassées végétales
au fond d’un bain froid,
puis séchaient,
répandaient l’amertume dans le lieu d’eau
assombri,
consacré quelquefois
à l’assouplissement de plantes
après la mort,
plantes si lisses…
je ne pouvais imaginer le long des lignes flexibles
les nuances de feuilles anciennes.
Etalée,
toile d’araignée détachée,
l’armature de brins disposés en étoile.
Un disque inégal les relie, tressé autour du centre, déformé.
L’indiscipline des axes,
bois raide, cassé,
gagné par les vagues serrées, régulières et blanches
d’un osier rond.
La main de maman tente d’en aplanir les torsions.
Deux bouquets coupés,
rangés l’un sur l’autre,
en croix,
gonflent la souche
du remous des chemins,
y inscrivent aussi,
petit monde fixe,
pièce de monnaie,
des épis de métal.
Maintenant, maman tire entre les tiges anglées, dressées,
alternativement à l’intérieur et à l’extérieur,
une interminable liane plate.
…griffe le sol ensoleillé puis cingle
la surface de la table,
répond aux doigts qui l’entravent à
l’ossature de l’ouvrage.
La paroi s’arrondit,
rythmée de slaloms,
chaque élément vertical se courbe, s’enferme
peu à peu,
se confie à son étroit édifice,
cage,
corps strié,
ajouré,
lentement élevé, accroché irrémédiablement au corps prochain,
grappe de poissons transparents, creux,
précieux squelettes enlacés,
suggérés par l’ascension ondulante,
sinuant à l’infini sur elle-même,
d’une seule fibre.
Filament de cendre déroulé à la plume.
Le pain rompu, là,
au fond de l’ombre,
quand le ciel de dehors
cognait l’ardoise enchâssée au bois quotidien, traversait
nos vitres nues,
glacées.
A côté, l’eau attendait
au ventre d’une terre
émergée,
échappée d’un socle lancé dans la vitesse des cercles,
boue rêche,
sèche,
balle de sable.
Un vernis faisait
la partie supérieure du broc,
soudain
soleil de paille.
L’invisible frère
Le bruit des essieux est effort, il envahit la mémoire de celui qui s’attelle au parcours d’une carcasse de bois ou de fer. Le grincement solidifie le silence, le silence s’étire, ligne déposée par le cerclage des roues sur la terre qu’elles ne quittent pas. L’homme avance.
La tenaille d’un bec happe l’espace entre les roches.
Derrière sa carriole va cet homme. Il inflige au repli des autres ses bruissements, enseveli sous son attirail.
La tête d’oiseau n’attrape pas de tige sur l’eau.
Il accompagne une trace sonore rouillée, un arbre mort, une pulsation mécanique. Une main brève griffe d’infimes variations au choc des obstacles, s’aiguise, recèle, muette, insistante, la sécheresse des chemins humains. Elle ne lui appartient pas, elle passe devant nous .
Les anneaux déformés traversent le cirque antique.
(en hommage aux métaux d’Eduardo Chillida)
Le jardin est calme,
je recueille dans un arrosoir
l’eau de la dernière pluie pour la verser ailleurs,
la garder jusqu’à l’été.
Au fond du grand bac
une vague bouillonnante s’élève,
s’agite,
affaisse son volume marbré,
répand une aile noire,
gouffre,
robe attelée au fragile bras tendu de l’eau,
contrée soumise à l’éternelle lancée de grains à l’aube,
fracas balancé par une liane vitreuse,
abreuvé à la tige qui transmet le torrent de ses veines.
Et le large cercle liquide secoue à terre
une corolle de nuit parmi les courants,
une surface de puits,
ouvre le velours de ses feuilles,
de ses lueurs,
jette au creux des fossés
une grisaille soyeuse,
et le dos de ses pierres,
comme si le chemin dormait autour des troncs.
Vous veniez de mourir.
L’eau du ciel basculait,
miroitante,
cognait les flancs de l’ombre.
L’eau douce,
Monika,
et je m’adressai à vous.
Poitiers, le 1er février 09.
François Veilhan.
L’escale
Rappelle-toi
cette coulée grise pénétrant
l’eau boueuse d’où se hissait la forêt de toutes parts vers l’enceinte des plateaux
anfractuosité béante
incisant les pentes
la lumière blanche et noire
et dans la touffeur des sols
la pierre
hachée
épinglée d’une minuscule surface peinte
lit
peu à peu attaqué
meurtrissures carrées
rayures
brèche sous l’arc
minuscule velours humain
soc rongé ouvrant l’eau vers nous
enclave
triangle
encore
ville
encore agrégés
lavés
débris de fission.
Rappelle-toi l’ombre où nous glissions
dominée d’un collier de tiges blanches
lentement détachées
La balustrade d’un mail
ses rangées de tilleuls
des pièces mortes les parsèment déjà de fragiles lampes
le débarcadère approche.